(Partie 2/2) Qu’est ce qu’une vie philosophique à notre époque ? L’exemple d’Henry David Thoreau

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Dans l’essai précédent, j’ai commencé à vous présenter – à travers la pensée et la vie de Thoreau – ce que signifie vivre une vie philosophique et ce que ce mode de pensée / vie peut nous apporter.

J’avais notamment exposé ces 3 idées :

  • Il n’est nullement nécessaire d’être professeur ou d’écrire des livres pour être philosophe.
  • Philosopher permet de résoudre des problèmes pratiques de nos vies quotidiennes.
  • Le philosophe est celui qui s’efforce d’accorder ses actions avec sa pensée.

Aujourd’hui, je vais présenter 3 autres idées qui viendront conclure cet essai.

Apprendre à douter comme un philosophe.

Il y a trois types de doutes.

Le doute commun : « je doute de réussir cet examen ». Celui-ci entraîne de la peur, de l’anxiété.

Il y a le doute des sceptiques, un courant philosophique datant de l’antiquité grecque. Ces philosophes faisaient du doute la limite de tout savoir. Je dois « suspendre mon jugement » dans toute situation et je ne peux atteindre aucune vérité. Faisant du doute la seule vérité…

Cette posture permettait selon eux d’atteindre une certaine tranquillité de l’âme. Celle-ci, en passant, étant recherchée par la majorité des écoles de philosophie antique.

Enfin, il y a le doute philosophique. Celui que Descartes définit comme la première étape de « sa méthode » pour accéder à toute connaissance et vérité.

Cette méthode s’inscrit dans l’héritage de Socrate qui était considéré comme le plus sage des hommes. Celui-ci ne comprenait pas pourquoi on lui prêtait cette qualité. Puis il finit par se dire que s’il était effectivement le plus sage parmi les hommes, ce n’était pas grâce à son savoir mais à l’inverse, grâce à son « non-savoir”.

Ce qui nous ramène au fameux « La seule chose que je sais c’est que je ne sais pas ».

Ce non-savoir lui permettant de (se) poser les questions nécessaires pour prendre conscience de notre ignorance (ou des limites de notre savoir) la où nous étions persuadés de “notre savoir” avant de se prêter à l’exercice.

Ce travail de reconsidération des croyances et de son faux savoir est le chemin vers une connaissance plus juste, s’approchant de la vérité.

De cette posture, on peut en déduire que la philosophie est l’art de s’étonner, de se questionner sur tout, de ne rien considérer comme évident.

C’est cette même posture qui permit à Thoreau de considérer anormal la guerre au Mexique à son époque, de se forger une opinion (peu commune à son époque) sur ce sujet puis de prendre une décision en conséquence pour être en accord avec sa pensée. Qui pour rappel l’amena à passer une nuit en prison.

Il en fut de même lors de son choix de vivre pendant plus deux années à Walden. Cette décision a été le fruit d’une réflexion critique de la société dans laquelle il vivait. Il a voulu voir par lui-même si un autre mode de vie était possible.

Par son exemple, on peut voir à quel point cette manière de penser (et de vivre) nécessite du courage.

Cela peut nous amener à questionner nos choix personnels, notre identité.

Mais aussi des conventions de la société dans laquelle nous vivons, voir certaines “lois” qui peuvent inviter à la critique.

Pour Thoreau cette manière d’être est la condition sine qua non pour mener une vie qui vaut la peine d’être vécue.

Ce qu’il appelle une vie délibérée.

 

Passer de la vie médiocre à une vie délibérée.

La masse des hommes mène une vie de désespoir silencieux. 

C’est le constat de Thoreau mais aussi d’Emerson qui fut son mentor.

Emerson est un autre philosophe, fondateur du courant de pensée transcendantaliste.

Ce fut le premier grand mouvement intellectuel américain.

Le transcendantalisme est un mouvement littéraire, spirituel, culturel et philosophique qui a émergé aux États-Unis, en Nouvelle-Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle. Une des croyances fondamentales des transcendantalistes était la bonté inhérente des humains et de la nature. Ils croyaient aussi que la société et ses institutions — particulièrement les institutions religieuses et les partis politiques — corrompaient la pureté de l’humain, et qu’une véritable communauté ne pouvait être formée qu’à partir d’individus autonomes et indépendants. Pour eux, la majorité des hommes mènent une vie médiocre. Par médiocre, il faut comprendre, une vie non éveillée.

 

Nous vivons selon les valeurs de notre époque.

Comme des automates ne remettant jamais en cause notre environnement personnel et collectif.

Nous l’avons vu précédemment, la philosophie doit nous permettre d’apprendre à douter, de remettre en cause chaque chose, du plus évident au plus étrange.

Socrate nous avertissait déjà : « La vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue ». La vie non philosophique serait une existence sans examen. C’est traverser la vie sans se permettre d’influer sur sa trajectoire.

Emerson nous encourageait à mener une vie éveillée.

Être éveillé est une manière de vivre spécifique, critique, méliorative, un chemin d’amélioration de soi en vue d’une conscience plus haute, qui demande une autodiscipline et une ascèse réflexives, caractéristiques de la vie philosophique telle que Socrate, le premier, l’a décrite.

Thoreau, dans la lignée de Socrate et Emerson, nous pousse à vivre une vie plus consciente, qu’il l’appelle la vie délibérée.

J’en suis arrivé au même constat.

Notre société actuelle me semble exigeait à chacun de nous d’apprendre à penser et agir de manière délibérée, ou intentionnelle pour reprendre ma propre expression.

Le contraire de cette vie intentionnelle, la vie subie, par défaut, réactive est remplie de comportements, de pensées, d’habitudes néfastes pour notre bien-être, notre développement personnel, notre apport au monde.

Nous ne savons pas vraiment qui nous sommes.

Nous avons des comportements addictifs de plus en plus nombreux et profonds.

Nous préférons faire des choix pour correspondre à la norme. Nous avons peur de sortir des terrains balisés par notre société.

Il y a des symptômes de plus en plus visibles des conséquences de cette vie que nous menons en Occident dont :

  • L’augmentation des suicides chez les jeunes
  • La baisse de la natalité
  • La perte de sens et le nihilisme ambiant
  • La misère sexuelle et affective chez les jeunes hommes
  • La montée en puissance des idéologies

 

Ce sont les conséquences d’une vie subie générant un cercle vicieux.

L’homme ne sait pas qui il est.

Il ne sait plus ce qu’il peut faire, ce qu’il doit faire, pour quoi il devrait se battre et in fine comment vivre.

La vie philosophique quant à elle, propose un chemin alternatif à l’homme.

Celui de la connaissance de soi par l’examen constant.

La définition de son propre art de vivre et de ses principes.

La remise en cause personnelle pour progresser vers ce que les apôtres du développement personnel appellent « la meilleure version de soi-même ».

Et ils ont raison, c’est sans aucun doute un des buts de l’homme, un de ces devoirs.

Viser un idéal de soi. Et sculpter chaque jour notre âme et notre corps.

Modeler notre propre art / mode de vie.

Entre médecine de l’âme et esthétique de l’existence.

Ici nous avons affaire à deux approches de la philosophie que Platon propose dans ses dialogues.

Le premier est un art (ou mode) de vie qu’on peut qualifier de thérapeutique. La philosophie devient une médecine de l’âme.

Cette âme qui était si importante pour Platon, puisqu’éternel, contrairement au corps qui finira par mourir. De ce fait, il fallait lui prêter un soin tout particulier à notre âme.

Le philosophe Pierre Hadot a consacré des décennies à l’étude de ce qu’il a appelé les exercices spirituels.

Ces exercices avaient pour vocation de développer l’âme, l’esprit et le corps de celui les pratiquants.

Ils pouvaient être intellectuels avec par exemple la lecture ou l’étude des textes anciens. Mais aussi physiques comme celui de l’inconfort volontaire que pratiquaient les stoïciens. Imaginez-vous sortir volontairement sans votre manteau en plein hiver afin de fortifier votre âme et votre corps.

Pour Thoreau, cette médecine de l’âme est plutôt une hygiène de vie. Elle est composée de deux piliers chez lui : la simplicité et la lenteur.

Il veut s’extraire d’une vie d’éparpillement, de distractions constantes.

Il faut limiter le nombre de nos occupations, de nos désirs.

La conscience ou attention peut être plus aiguë et soutenue si elle se concentre sur un ensemble d’objets plus limités.

Concernant l’ode à la lenteur, Thoreau considérait déjà à cette époque que le monde allait trop vite.

Pour recontextualiser, il assistait à l’émergence de l’industrialisation et de la production de masse.

En effet, quand notre environnement va trop vite, il est difficile de concentrer son attention sur ce qui compte et d’être intentionnel dans nos choix.

De nos jours, nous sommes nombreux à éprouver des difficultés à « suivre le rythme » qui nous semble imposer par la société, par « un système ».

Qui n’a jamais eu le sentiment que sa journée, sa semaine lui avait échappé ? Pire, sa vie ?

Ce sentiment que le temps ne nous appartient pas, qu’il est hors de notre contrôle ?

C’est pour cela que Thoreau est allé dans les bois. Pour vivre plus simplement et plus lentement.

Pour conclure cet essai. Nous pouvons voir maintenant la philosophie avec un œil différent.

Elle n’est pas uniquement destinée à des individus étranges en robe de professeurs.

Elle est un mode de vie, avant d’être une profession.

Le discours, les concepts philosophiques servent à soutenir le choix du mode de vie.

Elle permet de mieux penser. D’accorder nos pensées avec des actions concrètes. Des actions qui permettent de résoudre des problèmes de nos vies d’humains.

Elle nous offre une méthode pour douter, s’étonner, de se questionner, enquêter.

Elle nous permet de mieux nous connaître, ainsi qu’autrui et le monde duquel nous faisons partie.

Et enfin, elle nous permet de nous extraire de la vie médiocre pour aller vers une vie délibérée, plus intentionnelle.

Laissons Thoreau avoir le dernier mot. Avec une citation qui représente parfaitement l’ambition de la vie philosophique.

Ma vie a été le poème que j’aurais voulu écrire.

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